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Quand Roland et Christine menaient grand train. L'affaire Elf-Dumas regorge d'épisodes cocasses.

in Libération - le 25 Décembre 1998 - par Armelle THORAVAL

Où en est l'instruction ? Quels sont les éléments troublants, voire accablants, pour le président du Conseil constitutionnel ? Revue en quatre questions des principaux aspects de l'affaire.

1. Le recrutement de «Mata Hari»

Un vague diplôme anglais, un CV d'épouse plutôt maltraitée: rien ne justifie l'embauche de Christine Deviers-Joncour par Elf-Aquitaine, en 1989, comme émissaire. Sauf son amitié pour Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères. Un salaire mensuel versé par Elf-Impex (10 000 F), un autre par Elf Aquitaine International (40 000 F), des faux frais (200 000 F par mois sur sa carte bancaire, aux meilleures époques): la belle a de la valeur.

Faute du témoignage d'Alfred Sirven, qui organise le réseau d'influence d'Elf-Aquitaine pour le compte de Loïk Le Floch-Prigent, les deux magistrates disposent de deux témoignages importants, mais indirects. Celui d'André Tarallo, PDG d'Elf-Gabon, qui assure que Christine a été recrutée parce qu'elle était «utile politiquement». Pour ses liens supposés avec Roland Dumas. Et celui de Jeanne Cardaire, ancienne secrétaire générale du groupe Elf-Aquitaine, qui se souviendra avoir entendu Alfred Sirven évoquer ce recrutement particulier, à la demande de Dumas. De ces témoignages et d'un faisceau de présomptions dépendent la «complicité» de Roland Dumas. Christine Deviers-Joncour donne une autre version, qu'elle racontera aux juges avant de la détailler dans son livre. Alfred Sirven, qui aurait été un patron colérique, lui aurait demandé de se rapprocher du ministre. Le tout à l'insu de Dumas. La courtisane menait double jeu.

2. Chaussures et restaurants fins Roland Dumas a-t-il bénéficié personnellement des fonds d'Elf-Aquitaine? Depuis le début de leur instruction, les juges ont épluché les dépenses de Christine Deviers-Joncour. Elles trouveront des robes de haute couture (Nina Ricci, Louis Azzaro), des nuits d'hôtel au Ritz ou au Crillon (Christine était pourtant bien logée), et des restaurants. Il leur faudra de l'obstination pour détecter le passage de Roland Dumas. La première trouvaille est une paire de chaussures, faite sur mesure par le chausseur Berluti et facturée 11 000 F. Ensuite viendront les dîners fins au Pichet, un restaurant goûté par François Mitterrand, où Roland laissait la note à Christine. Puis une deuxième paire de Berluti, de 13 000 francs celle-ci. Et, enfin, la facture d'achat d'un dessin signé Ernest Pignon d'une valeur de 60 000 francs, établie au nom de M. et Mme Dumas.

Devant les juges, Roland Dumas se défend. Les chaussures auraient été remboursées, l'homme serait galant et n'exige pas communication des cartes bancaires avant de se laisser inviter. Quant au dessin, il appartient à Christine Deviers-Joncour. Roland Dumas est un amateur d'art éclairé (Giacometti, Picasso). Il aurait joué le rôle de conseil. Le total des dépenses dont l'ancien ministre a directement bénéficié apparaît mince au regard des 66 millions de francs perçus par sa maîtresse.

3. Les 320 m2 de la rue de Lille C'est au 19 de la rue. Très spacieux. Incongru même pour une émissaire correctement rémunérée par Elf-Aquitaine. En 1992, Christine Deviers-Joncour a emménagé dans ces 320 m2, où elle a promptement installé une tapisserie du XVIIe siècle. Interrogé sur le train de vie mené par Christine Deviers-Joncour, avec laquelle il partageait voyages diplomatiques, concerts à l'Opéra et quelques moments privés dans cet appartement, Dumas se contente de répondre qu'il n'est pas un homme curieux. Même s'il avait constaté les «facilités» obtenues par la dame. L'appartement a coûté 17 millions de francs. La promesse de vente a été signée au nom d'Aston, une société costaricienne.

Aston est le nom du chien de Gilbert Miara, l'habile ami de Deviers-Joncour. Officiellement, le trésorier d'Aston SA est un financier suisse, Carlo Pagani, le président est également un intermédiaire suisse: le nom de Deviers-Joncour ne doit pas apparaître. Les fonds proviennent d'un compte de Christine Deviers-Joncour ouvert à Lugano. Et alimenté par Elf. Au final, l'achat s'effectue par le biais d'une SCI (société civile immobilière), dont Christine Deviers-Joncour détient 30%.

A-t-il été acquis parce qu'Alfred Sirven voulait faire un bon placement immobilier, version soutenue par son ambassadrice? Etait-il au contraire destiné en partie à Roland Dumas, comme l'ont soupçonné les juges? Le mystère de la SCI reste entier. Roland Dumas osera cette réponse face aux juges: «Je pensais qu'il s'agissait d'un logement de fonction.» Il y a quelques jours, les juges recueillent le témoignage de la concierge du 19, rue de Lille, qui se souvient avoir vu Roland Dumas sur les lieux à deux ou trois reprises avant l'achat.

4. Des millions en espèces Plusieurs mois avant la mise en examen de Roland Dumas, les magistrates ont fouillé ses comptes bancaires et ses dépôts en espèces. Lorsqu'elles l'entendent, le 3 juin 1997, lors de sa première audition, Laurence Vichnievsky et Eva Joly ont en main la vie des comptes du président du Conseil Constitutionnel. De 1991 à 1996, elles relèvent notamment des versements sur son compte personnel du Crédit Lyonnais, qui s'élèvent à quelque 10 millions de francs, dont plus de 3 millions en espèces. A ceci s'ajoutent de nombreux dépôts effectués sur les comptes de membres de sa famille, son épouse, son cabinet d'avocat. Pour justifier ces fonds, Roland Dumas use de tous les registres. Il se dit paysan, aimant épargner. Explique avoir vendu plusieurs oeuvres, dont un bronze de Giacometti. Se souvient de la vente de lingots d'or de sa grand-mère. Ou d'un emprunt auprès du banquier Jean-Pierre François, son ami d'enfance, à hauteur de 470 000 francs.

Jean-Pierre François, tout naturellement, confirme. Le reste n'est pas prouvé. Mais les magistrates ne sont pas davantage parvenues à faire le lien entre les retraits importants de Deviers-Joncour et les versements sur le compte de Dumas. Même si, par une curieuse coïncidence, Roland Dumas était en février 1992 à Genève, quand son amie y retirait d'importants fonds en espèces. Il reconnaît y être allé, mais pour des rendez-vous diplomatiques, et nie avoir perçu le moindre centime. Ses dénégations sont un mur face aux magistrates.

Roland Dumas risque surtout de sérieux pépins avec le fisc. Qui va vérifier quelque 10 millions de francs de rentrées, dont plus de 3 millions en espèces, non déclarés. Mais la procédure sera infiniment longue, et le président du Conseil constitutionnel a tout son temps".

 

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