MARSEILLE, 02 avr 2013 (AFP) - Alexandre et Jean-Noël Guérini, deux frères d'origine corse au coeur d'une affaire politico-financière depuis quatre ans à Marseille, ont suivi des voies différentes, l'un la gestion des déchets, l'autre la politique, avant que leurs chemins ne se croisent devant la justice.
L'aîné, Jean-Noël, 62 ans, est né à Calenzana, un petit village au-dessus de Calvi, d'un père agriculteur. "J'étais maigrichon, on m'a donné du lait d'ânesse", racontait le sénateur PS à l'AFP avant d'aller voir le juge Duchaine une première fois en septembre 2011.
La famille Guérini débarque à Marseille en 1956, où Alexandre, le cadet, voit le jour cette année-là. Le père, Antoine, y a obtenu un emploi à l'office HLM, ainsi qu'un logement, grâce à l'oncle, Jean-François, conseiller général du Panier.
Ce quartier, perché derrière la mairie au-dessus du Vieux-Port, a des allures de village corse. Depuis le XIXe siècle, c'est "le lieu de passage obligé des migrants qui quittent l'île pour +réussir+ à Marseille, un lieu de retrouvailles et d'entraide", selon une historienne de l'endroit.
Beaucoup deviennent fonctionnaire, médecin, avocat. D'autres font des carrières moins honnêtes, à l'instar de Paul Carbone, un bandit de l'entre-deux guerres qui forge la mauvaise réputation du Panier avec son comparse Spirito.
Jean-Noël Guérini, qui porte le même nom qu'une fratrie de gangsters originaires comme lui de Calenzana, dénonce cet amalgame : "Je suis Corse, je porte le nom de Guérini, je porte en moi un délit de patronyme". Refrain repris par Alexandre dans une lettre manuscrite qu'il adresse au juge en 2010, où il se plaint d'être "présumé coupable" du fait de ses origines, en citant le comique Guy Bedos qu'il aurait alors rencontré en Corse.
L'aîné des frères commence à travailler à 16 ans à l'office HLM mais rejoint vite les Jeunesses socialistes, dans le sillage de l'oncle qui tient son canton pendant 31 ans, sous l'étiquette SFIO puis PS. Jean-Noël Guérini apprend à ses côtés.
Comme dans d'autres dynasties politiques locales, l'oncle passe le relais au neveu, élu conseiller municipal en 1977, conseiller général en 1982 et maire de secteur en 1983. Toujours au Panier, que les Guérini "tiennent" depuis 60 ans.
C'est là qu'Alexandre fonde, au début des années 1980, une entreprise de curage de canalisations, Rodillat, du nom d'une rue du quartier. Il la revendra plus de sept millions de francs en 1989 à la Compagnie Générale des Eaux, la future Veolia d'Henri Proglio, dont les Guérini sont proches. Le début de la réussite.
A la même époque, son frère prend la présidence de l'office HLM du département et devient rapporteur du budget au conseil général. Décrit par un ancien élu au département comme un "gros travailleur", "râleur", "guerrier plutôt que consensuel", il attend son heure au milieu des barons.
Elle vient en 1998, quand l'Istréen François Bernardini est contraint par la justice à quitter la présidence du conseil général. Guérini prend les rênes. Et fait en sorte que Bernardini ne puisse pas revenir.
Au tournant du siècle, le temps des Guérini est venu. Selon ses détracteurs, Jean-Noël met la fédération socialiste départementale à sa botte, aidé dans l'ombre par Alexandre, reconverti dans l'exploitation, très lucrative, de décharges dans le département, auxquelles la justice s'intéresse dans un volet de l'affaire.
Mais c'est en 2008, avec la candidature de l'aîné à la mairie de Marseille contre Jean-Claude Gaudin, puis la conquête de la communauté urbaine par les socialistes, que le cadet - décrit au mieux comme un fort en gueule, au pire comme l'ami des voyous - s'investit véritablement dans la politique et dérange à droite comme à gauche.
L'année suivante, la justice, alertée par un courrier anonyme qui accuse les Guérini de diriger un "système mafieux" autour du conseil général, rattrape cependant les deux frères, placés en garde à vue mardi chez les gendarmes après de premières mises en examen en 2010 et 2011.