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Affaire Urba

L'affaire Urba porte notamment sur les conditions d'attribution de marchés publics et concerne le financement occulte du Parti Socialiste français. Le volet marseillais de l'affaire concerne la période de janvier 1987 à février 1989.

 Les entreprises qui souhaitaient obtenir des marchés publics devaient verser, par le biais de fausses factures, à hauteur de 2 % à 4 % du montant des marchés concernés à des bureaux d’études, parmi lesquels URBA, SAGES ou BLE. Ces méthodes étaient illégales.

 Les bureaux d'études se chargeaient ensuite de reverser les commissions, dont ils conservaient 40 % du montant, dans les caisses du Parti Socialiste (30 % au niveau national et 30 % au niveau local), dans le but de financer les campagnes électorales.

 

Origines

En 1971, la direction du Parti socialiste décide de créer une société chargée essentiellement de centraliser et de récolter des fonds perçus à l’occasion de la passation de marchés publics, en vue de financer les campagnes électorales à venir. Urba est née en 1973 de cette volonté, deux ans après son congrès constitutif d’Épinay.

La SFIO avait uniquement recouru aux cotisations des militants et aux aides apportées par d'autres partis de l'Internationale socialiste. Au début des années 1970, les nouveaux dirigeants décident que la forte augmentation du coût des campagnes électorales, sensible par exemple à la présidentielle de 1965, exige le recours à d'autres méthodes. Or, aucun projet de financement par l'État n'aboutit. Le PS fait alors le choix d'un système centralisé de fausses factures pour augmenter ses ressources. (Pierre Favier et Michel Martin-Roland, La Décennie Mitterrand, éd. du Seuil, tome 3, 1997)

 

Un accident du travail dévoile l'affaire

En 1990 une dalle de béton s’effondre sur un chantier de construction au Mans d’un immeuble destiné à abriter des services de la Communauté urbaine. Deux salariés de l’entreprise Heulin trouvent la mort .5

Le 8 janvier 1991, alors qu'il instruit l'enquête concernant cet accident du travail mortel, le juge d'instruction du Mans Thierry Jean-Pierre interroge un ancien responsable socialiste qui affirme que plusieurs bureaux d'études, notamment la société Urba, perçoivent des commissions auprès d'entreprises désireuses d'obtenir des marchés publics, et les reversent au Parti Socialiste.

Le parquet ouvre alors une information contre X pour extorsion de fonds, faux et usage de faux et corruption.

 

Les cahiers de Joseph Delcroix

Lors d'une perquisition au siège marseillais d’Urba, le 17 avril 1989, l'inspecteur Gaudino avait mis la main sur les fameux cahiers d'un certain Joseph Delcroix. Ce militant PS a noté avec application le contenu de toutes les réunions d'Urba sur des cahiers d'écoliers (au nombre de 4). Au passage, il placera en garde à vue Joseph Delcroix, ancien directeur administratif de la GSR Gracco à Paris, et Bruno Desjobert, directeur d'Urba Marseille.

Au cours d'une deuxième perquisition, effectuée le 19 avril, la secrétaire d'Urba convient sur procès-verbal dressé par Antoine Gaudino que « c’est Monate qui lui a demandé de cacher, chez elle la comptabilité » d'Urba, et elle ajoute « Je savais par Monsieur Monate depuis cet après-midi qu'une autre perquisition allait avoir lieu. Monsieur Monate m'avait aussi avisée qu’il était intervenu auprès du ministre ou du premier ministre pour faire libérer... ou plutôt pour «arranger» l’affaire».

Cela n'a pas empêché l'affaire d'être enterrée à l'époque.

 

Antoine Gaudino et l'enquête impossible

C'est alors que l'inspecteur de police judiciaire à la section financière du SRPJ de Marseille, Antoine Gaudino, publie chez Albin Michel un livre intitulé L’enquête impossible, dans lequel il est question de l'affaire des fausses factures de Marseille, et qui met directement en cause la SORMAE6, Urba, sept responsables politiques de droite, six socialistes ainsi que Gérard Monate, socialiste et PDG d’Urba, ainsi que le financement, grâce à « l’argent de la corruption », de la campagne électorale présidentielle de François Mitterrand en 1988 dont le directeur était Henri Nallet. Lequel Henri Nallet se trouvera être Garde des Sceaux aux débuts de l'enquête…

Antoine Gaudino n'en est pas à son coup d'essai : il est déjà connu pour avoir mis au jour l'affaire des faux frais de mission qui permettaient à la hiérarchie de la Police Judiciaire d'améliorer discrétionnairement le salaire de ses fonctionnaires.

Cependant, avec son collègue l'inspecteur Alain Mayot, ils piétinent depuis trois ans pour tenter de faire aboutir l'affaire devant les tribunaux. Ils se sont systématiquement heurtés aux obstacles mis sur leur route par le pouvoir exécutif. Le parquet a d'abord refusé d'ouvrir une information judiciaire, puis l'inspecteur Gaudino a été muté dans un autre service, et finalement ils ont été dessaisis de l'affaire.

Antoine Gaudino affirme qu'une réunion s'est tenue à Matignon où «Michel Rocard, Pierre Arpaillange, Pierre Joxe et Pierre Mauroy auraient fait passer leurs intérêts de boutique avant le service des institutions qu’ils incarnent, avant la justice et l’intérêt national».

Il s'est tout de même démené pour mener son enquête à son terme, et en a publié le résultat dans ce livre, pour lequel il sera d’ailleurs révoqué de la police en 1991.

 

L'amnistie

L'enquête d'Antoine Gaudino avançant, en dépit des obstacles, le gouvernement de F. Mitterrand, dirigé par Michel Rocard, en vient à envisager l'arme ultime, l'amnistie, comme la seule parade efficace.

La loi est présentée, à l'automne 1989, comme un moyen de « moraliser » la politique et les politiciens. Une première tentative pour y insérer une amnistie des politiciens corrompus, début décembre, échoue pour cause de fuites dans la presse : devant le tollé qui s'élève, le gouvernement déclare n'avoir jamais eu une telle intention.

Le 21 décembre 1989, après une navette parlementaire mouvementée, le Sénat (à majorité de droite) adopte un texte ne contenant aucune mention de l'amnistie. Le 22 décembre 1989, l'Assemblée nationale (majorité PS) adopte une version de texte incluant l'amnistie de « toutes infractions commises avant le 15 juin 1989 en relation avec le financement direct ou indirect de campagnes électorales ou de partis et de groupements politiques, à l'exclusion des infractions prévues par les articles 132 à 138 et 175 à 179 du code pénal et de celles commises par une personne investie à cette date [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel no 89-271 DC du 11 janvier 1990] d'un mandat de parlementaire national ».

En raison de l'heure avancée à laquelle le texte a été adopté, seuls quelques élus socialistes sont présents, mais tous ont laissé leur clef de vote en place. Au matin, les Français sont mis devant le fait accompli. Les parlementaires tentent de sauver les apparences de la morale et de la vertu dans les médias en s'excluant de l'amnistie, mais le Conseil Constitutionnel supprimera cette exception. L'état-major politique du PS, à commencer par les responsables financiers de l'élection de 1988, échapperont définitivement aux poursuites.

 

Le juge d'instruction est à son tour dessaisi de l'affaire

Poursuivant l'instruction, le juge Thierry Jean-Pierre met à jour les ramifications de la société Urba et le 6 avril 1991 il procède à l'interpellation de Christian Giraudon, ancien responsable d’Urba pour les Pays de la Loire qui sera inculpé et écroué. Le magistrat sait alors que Giraudon a prévenu l'ex PDG d'Urba, Gérard Monate. C'est pourquoi, il décide de monter à Paris sans attendre le lundi, tente en vain de perquisitionner chez Gérard Monate avant d'aller le faire dans les locaux d'Urba.

Ainsi, le dimanche 7 avril 1991, il perquisitionne dans les locaux parisiens d'Urba-Gracco, ce qui lui vaudra d'être aussitôt dessaisi de l'affaire. Dessaisissement qui ne lui sera officiellement avisé qu'à sa sortie des locaux d'Urba, par un magistrat parisien flanqué de Me Yves Baudelot, avocat du Parti socialiste, lequel n’hésitera pas à bousculer le magistrat pour tenter de s'emparer des cinq cartons de scellés qu'il vient de saisir.

Le scandale aidant, le garde des Sceaux, Henri Nallet, ex-trésorier de la campagne présidentielle, qualifie la perquisition d'«équipée sauvage» et le ministre délégué auprès du garde des sceaux, Georges Kiejman, parle de «cambriolage judiciaire».

C'est pourquoi le procureur du Mans, Yves Bot, sera prié de saisir la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Angers pour qu'elle annule la saisie du juge et donc l'ensemble de la procédure.

Le juge confiera son amertume : «1981 marquait pour moi l'arrivée d’une éthique, d'une certaine morale. […] C’est pour cela qu'on élit la gauche. Et quand on voit ce qu'elle est devenue dix ans plus tard, c'est vrai que ça rend très, très amer.»

 

La procédure reprend

Mais les magistrats angevins surprennent tout le monde le 19 avril, en refusant d'enterrer le dossier et en justifiant au contraire l'ouverture de l'information. La procédure mise en œuvre par le juge est déclarée « conforme au droit » par la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Angers.

Du coup c'est au tour du procureur d'Angers de se pourvoir en cassation. Christian Giraudon fait de même. Ces deux pourvois ont été rejetés par la Cour de cassation, suivant en cela les réquisitions du parquet : Nicole Pradain a en effet estimé que « les magistrats du parquet doivent pouvoir ouvrir librement une information lorsqu'ils estiment que les faits le justifient », et finalement, fin décembre 1991, le juge Renaud Van Ruymbeke reprend le dossier.

Il enquête alors sur une autre affaire de commissions sur des marchés publics au Mans, dans laquelle on retrouve là encore la piste Urba. Le 13 janvier 1992, il effectue des perquisitions, notamment dans les locaux de la fédération du PS de la Sarthe, aux cours desquelles Jacques Jusforgues, premier secrétaire, conseiller régional PS, et Pierre Villa, ancien adjoint au Mans, sont interpellés.

Puis, il perquisitionne au siège du PS à Paris et Henri Emmanuelli, en tant que trésorier du PS, est mis en examen le 14 septembre 1992.

 

Conclusions

Le procureur de la chambre criminelle de la Cour de cassation, Yves Boivin, a notamment estimé qu’Henri Emmanuelli était, en tant que trésorier du parti, « le véritable patron d’URBA », car « c’est lui qui assurait la gestion des 30 % de commissions qui revenaient au parti ». Henri Emmanuelli s’est entendu qualifier de « trésorier qui ne s’occupait pas de trésorerie ». Pour le procureur, Urba est un système qui « en voulant moraliser la collecte des fonds, a moralisé l’immoralité ».

Henri Emmanuelli a finalement été reconnu coupable par la justice de complicité de trafic d'influence, et a été condamné le 16 décembre 1997 à dix-huit mois de prison avec sursis et à deux ans de privation de ses droits civiques. André Laignel, qui avait été mis en examen pour les mêmes motifs, a été relaxé.

L'affaire Urba a été à l'origine de deux lois sur le financement des partis politiques par l'État, la loi de janvier 1990 et la loi Sapin de janvier 1993. Ce dispositif a été achevé par la loi Séguin de janvier 1995.

La société Urba, réduite à l'état de coquille vide, a été liquidée vers la fin des années 1990.

 

La question de l'enrichissement personnel

Pour Antoine Gaudino, l'argent récolté par Urba ne servait pas uniquement à financer la vie publique mais a également servi à payer des frais personnels et à financer des entreprises et des associations loi 1901, et rien ne prouve qu’à travers ces associations il n'y ait pas eu enrichissement personnel.

 

Condamnées

-          Henri Emmanuelli, ancien trésorier du PS ;

-          Gérard Monate, ex-patron d'Urba Gracco

-          Michel Pezet, ancien député PS, ancien président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et ex-premier secrétaire de la fédération PS des Bouches-du-Rhône,

-          Janine Écochard, ancienne député PS ;

-          Philippe Sanmarco, ancien député PS des Bouches-du-Rhône.

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