François Hollande avait-il promis, en 2012, d’améliorer le financement de la recherche publique et des universités ? Oui. Dans son discours du Biopole de Nancy, le 5 mars 2012 (que j’avais publié dans son intégralité sur le blog {Sciences²} alors tenu sur le site Web de Libération. Un discours annoncé à tous les acteurs de la recherche et de l’université par Vincent Peillon comme celui qui allait exposer clairement les ambitions et le programme de François Hollande dans ce domaine. Il y fustigeait la politique de Nicolas Sarkozy : «En dix ans, en intensité de recherche nous sommes passés de la 4e à la 15e place des pays de l’OCDE. Pour un pays qui ne cesse de parler d’excellence, ce n’est pas concluant ! La recherche publique civile, contrairement à ce qui peut se dire, est en forte baisse : les organismes de recherche, l’Agence nationale de la recherche elle-même voient leurs crédits baisser dans des proportions importantes. Pour cette année, 12 % de baisse pour le CNRS et 15 % de baisse pour l’ANR. » Et d’annoncer une politique à l’opposé.
L’a t-il fait ? Non. Qui le dit ? Bercy, bien sûr, avec ses chiffres. Les opposants de gauche à sa politique. OK. Quelques journalistes. Certains font leur travail. Mais si vous avez un doute sur ces appréciations en raison de leurs origines, faites simple. Il suffit de vous tourner vers les partisans de la politique de François Hollande, dès lors qu’ils se trouvent en situation d’avouer une vérité qui ne leur plait pas.
Le cri du cœur du sénateur
Le cri du cœur provient donc d’un sénateur, fidèle soutien du président, Michel Berson. Sénateur de l’Essonne. Impliqué dans les travaux parlementaires sur le budget de la recherche. Connaisseur du sujet en raison son implantation à Orsay et Saclay où se trouvent l’université Paris-Sud, le CEA, de multiples grandes écoles d’ingénieurs, le synchrotron national Soleil, etc. Membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), Michel Berson participait donc à sa longue audition sur la stratégie nationale de la recherche, tenue jeudi 8 décembre, salle Lamartine à l’Assemblée Nationale. J’ai déjà fait référence à cette audition dans une note précédente soulignant l’hypocrisie des propos du secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, Thierry Mandon au sujet des personnels et en particulier des jeunes précaires virés des laboratoires en masse depuis cinq ans.
de réunion, les langues se délient un peu. Après qu’un participant, un peu horrifié de ce qu’il disait demande à la cantonade « il n’y a pas de journalistes au moins ? », Michel Berson fit cette proposition formidable. « L’Allemagne est à 3 % de son PIB pour la recherche, la France se traîne toujours à 2,3 % depuis 2000 dont 0,8 % pour la recherche publique. Pour rattraper l’Allemagne, avec une recherche publique à 1 % du PIB, il faut une loi pluriannuelle de programmation d’une augmentation de 1 milliard chaque année de notre budget consacré à la recherche publique durant cinq ans. »
Assis derrière moi, un physicien dont je tairai le nom, qui occupa un poste important au synchrotron national Soleil, ne tint plus. Et explosa de colère : « Mais pourquoi ne pas l’avoir fait depuis cinq ans, avec la gauche majoritaire à l’Assemblée et le proposer maintenant alors qu’elle pourrait bien ne plus l’être en 2017 ! » Curieusement, cette proposition recoupe d’assez près une revendication portée depuis le début du quinquennat par diverses organisations syndicales (SNCS-FSU, Snesup-FSU, SNTRS-CGT) et par des mouvements comme Sciences en marche, Sauvons la recherche ou Sauvons l’université.
Le cri du cœur du directeur général de Paris-Saclay
Michel Berson n’est pas le seul à manger le morceau, lors de cette réunion très peu suivie par la presse. En voici un autre, Claude Chappert, qui jouit de la confiance du gouvernement puisqu’il l’a récemment mis aux manettes de l’opération Paris-Saclay. Ce directeur général de la Fondation de coopération scientifique censée mettre en place le futur campus Paris-Saclay, rien moins que la plus grande concentration de chercheurs du pays, a toutefois un défaut pour le gouvernement.
Claude Chappert, passé par l’activité de chercheur, titulaire d’une médaille d’argent du CNRS pour ses travaux en micro-électronique, ne sait pas s’en tenir à la langue de bois des hauts fonctionnaires (dé)formés à l’ENA. En fin de réunion, il a lui aussi son cri du cœur : «les taux de succès à l’ANR se sont écroulés… mais les crédits récurrents aussi !», pour indiquer à quel point les laboratoires sont en peine. Et pourtant, il parle du nec plus ultra de la recherche française, connectée aux enjeux industriels et l’emploi de demain. Le graphique ci-dessus montre l’écroulement des taux de succès des projets des chercheurs en réponse aux appels d’offre de l’ANR. Il s’arrête en 2012, mais depuis la situation s’est encore dégradée. En 2014, le taux de succès de l’appel d’offres principal de l’ANR avait chuté à 8,5 % ! En 2015, malgré la diminution forte du nombre de projets proposés, tant le découragement fait rage dans les labos, le taux est resté inférieur à 10 %. Une catastrophe, entraînant une véritable crise dans le système de l’ANR, avec démissions en cascade de chercheurs membres des comités d’évaluation, ulcérés de se voir mêlé à une sorte de « mascarade », une « loterie » dénuée de valeur scientifique.
Sciences en marche livrait en 2014 ce petit calcul pour le seul CNRS afin de quantifier la perte des moyens des laboratoires sur la durée. En 2004, la dotation aux laboratoires était de 194 M€ en euros constants valeur 2013 contre 145,2 M€ en 2014. Cette perte de 26 % est une estimation minimale, car entre les deux dates, de nombreuses charges d’infrastructure (entretien des bâtiments, électricité, eau) ont été portées aux budgets des laboratoires, alors qu’elles étaient financées par ailleurs en 2004. Il est intéressant de comparer cette perte aux frais de gestion de l’ANR en 2015, près de 33 millions d’euros en 2014, alors que le travail de cette structure – la répartition des crédits – était auparavant réalisé par les organismes de recherche, les universités ou les services ministériels sans que cela coûte un sou de plus que leurs budgets normaux.
Coupes budgétaires à répétition
Geneviève Fioraso et Thierry Mandon ont longtemps cherché à masquer le reniement de François Hollande sur les budgets de la recherche et des universités. En annonçant chaque année des augmentations mirobolantes de crédits. Sauf que la pratique consistant à voter des crédits en loi de finances initiale (LFI) puis à les sabrer en cours d’année a perduré. En témoigne l’analyse de l’exécution du budget 2014 dans un rapport parlementaire démontrant la disparition de près d’un milliard entre la LFI et la réalité budgétaire. Dans ce rapport (de Michel Berson et Philippe Adnot), il est précisé que la perte pour le budget strict de la recherche publique équivaut à 6 % de son total.
Même pratique pour les postes d’universitaires annoncés en hausse chaque année. Mais ces créations de poste n’ont même pas suivi l’augmentation des effectifs étudiants. Quant aux postes annoncés, le tarif d’évaporation en cours d’année fait plus que doubler celui des crédits de recherche : le rapport Adnot-Berson estime que 15 % des postes annoncés par le ministère ne sont pas créés, car les universités, devenues autonomes au plan budgétaire, n’ont pas les crédits pour les salaires correspondants. Dans son discours de Nancy, François Hollande s’élevait contre cette pratique de Nicolas Sarkozy – ne pas compenser le transfert de charges du ministère aux universités – aboutissant à l’asphyxie financière des universités et « le gel de nombreux postes ». Un processus aggravé par la vaste réorganisation des universités (autonomie budgétaire, fusions, Comue, IDEX…) qui a donné lieu à la création de postes administratifs et d’équipes présidentielles dont le nombre et les salaires en augmentation très rapide et parfois très loin des standards universitaires ont grevé les budgets.
Le bilan de François Hollande pour les moyens accordés à la recherche et aux universités est donc net. Non, il n’a pas tenu les promesses de 2012. Et le refus de l’admettre pèse sur la sincérité du débat politique pour les prochaines élections.